«Entre ici, Missak Manouchian » !

« Morts pour la France ! », devons-nous crier en cœur afin que demain, aux côtés de nos grands hommes, la grande nef du Panthéon résonne de ces mots : « Entre ici, Missak Manouchian » !

Discours de Nicolas Daragon, maire de Valence
78ème anniversaire à la mémoire du Groupe Manouchian
Lundi 21 février 2022 – 11 heures – Place Manouchian

Mesdames et Messieurs, chers amis,

Aujourd’hui est un jour particulier, une date éminemment importante, pour tous les Valentinois, les amoureux de l’Histoire de France et je l’espère demain pour l’ensemble de nos compatriotes. 

Important et particulier tout d’abord, parce qu’il s’agit aujourd’hui du premier 21 février que nous commémorons, depuis, qu’aux côtés de Monsieur Jean-Pierre Sakoun, président de l’association Unité laïque,  nous avons annoncé la formation d’un comité de soutien pour l’entrée de Missak Manouchian au Panthéon.

Une initiative que nous portons depuis des semaines au plus haut sommet de l’État et qui rencontre une véritable unanimité en recueillant les signatures de personnalités de tous bords et de tous horizons.

Il nous est apparu temps, en effet, que le nom de Missak Manouchian soit à jamais inscrit au Panthéon des grands Hommes, aux côtés de Geneviève Anthonioz-De Gaulle, Pierre Brossolette, Germaine Tillion, Jean Zay et désormais Joséphine Baker.

Il est temps que l’histoire de ces héros de l’Affiche Rouge, que nous connaissons tous à Valence, trouve leur place dans nos manuels scolaires et que cette date du 21 février 1944 s’inscrive à jamais au cœur de notre mémoire nationale.

Car, si au cours de la Seconde Guerre mondiale, la patrie vit mourir les meilleurs des siens en la défendant, ce 21 février 1944 marque le sacrifice de vingt-trois de ses enfants, qu’il nous faut aujourd’hui bercer dans notre chagrin, et pleurer ensemble avant que nos larmes ne se tarissent en l’absence de l’hommage auquel leur souvenir nous oblige !

Souvenons-nous en effet, qu’en février 1944, la police allemande fait placarder sur les murs de Paris une affiche rouge qui comprend quelques portraits de résistants arrêtés. Leurs vingt-trois noms sont inscrits en lettres capitales pour que chacun puisse bien comprendre que MANOUCHIAN, GRYSWACZ, BOCZOV, RAYMAN, ALFONSO, FONTANOT et d’autres, sont tous des étrangers.

Imaginez-vous dans un Paris hivernal, occupé par les nazis, passer devant cette affiche dont seul le rouge tranche l’uniformité soumise au vert de gris. A n’en pas douter, pas un d’entre nous ici présent n’aurait osé la moindre démonstration d’empathie pour ces visages que l’ennemi qualifiait de terroriste.

Voilà d’ailleurs, ce que le poète Aragon écrivit bien plus tard sur cette même histoire : « Nul ne semblait vous voir français de préférence. Les gens allaient sans yeux pour vous le jour durant. Mais à l’heure du couvre-feu, des doigts errants avaient écrit sous vos photos MORTS POUR LA FRANCE. Et les mornes matins étaient différents. Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent. Vingt et trois qui donnaient leur cœur avant le temps. Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant. Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir. Vingt et trois qui criaient la France en s’abattant ».

Ces vingt-trois hommes et femme, tous étrangers, Arméniens, Juifs, Polonais, Espagnols ou Italiens dans ce moment précis de notre Histoire où un gouvernement composé de Français de naissance les traquait et les livrait aux Allemands, tous se voulaient « Français de préférence », parce qu’ils identifiaient la France à un idéal. 

Dans cette France occupée, où l’on tue, où l’on assassine, où certains préfèrent l’ennemi au Français, par leur sacrifice ces vingt-trois « français de préférence » ne viennent pas nous dire que la République est le meilleur régime au monde, ils s’en moquent face aux fusils, mais que la France est la première des nations.

Aucun d’eux n’était venu combattre au nom de sa race, de son sang, ou pour tel ou tel mode de gouvernement. Ils étaient venus combattre pour des valeurs « universelles ».

Ils défendaient leur nouvelle terre, parce qu’elle contenait en elle le passé qu’ils faisaient leur, le présent qu’ils écrivaient et l’avenir dont ils rêvaient. Cette France était ce lieu où s’incarnaient une mémoire plus vieille qu’eux, des idées, pour lesquelles ils étaient prêts à mourir afin que demain, de nouveau, puissent s’épanouir les principes qui les avaient fait choisir cette terre.

En criant « Vive la France » avant de mourir, ils rappellent à ceux qui auraient pu l’oublier que seul notre pays ouvre un champ d’action aux hommes libres, sans qu’il ne soit question de race, ni de religion.

Ces vingt-trois corps au sol, tombés sous les balles allemandes, viennent nous dire ce qu’est que d’être Français, que ce n’est ni un lien exclusif, ni contractuel, mais plutôt, sans doute, une adhésion sans cesse renouvelée.

A l’image de ces vingt-trois résistants, notre histoire est pleine de ces hommes réfugiés dans les forêts et qui deviennent alors des francs-tireurs, des partisans, en constituant des maquis, en harcelant l’occupant.

Pourquoi ne pas en trouver l’origine derrière les clôtures de bois d’Alésia ? Car de Clovis à de Gaulle, l’histoire de France est une perpétuelle succession d’hommes qui ont su dire « NON ». De résistants tous animés d’un identique amour pour l’esprit de barricade.

Ne nous faut-il pas, en ces heures incertaines pour l’avenir de notre pays, comprendre que l’Histoire de France est un héritage indivis, dont il nous faut tout prendre, tout accepter, car la France est un vêtement d’une seule pièce, qui peut se défaire dès que l’on ne tient plus les fils serrés.

L’historien Marc Bloch, résistant fusillé par les Allemands, nous aide à mieux comprendre encore, lorsqu’il écrit : « Il est deux catégories de Français qui ne comprendront jamais l’histoire de France : ceux qui refusent de vibrer au souvenir du sacre de Reims ; ceux qui lisent sans émotion le récit de la Fête de la Fédération ».

Voilà ce qu’il nous faut comprendre et qu’avaient compris avant nous les vingt-trois héros de l’affiche rouge. Voilà le message que nous renvoie le sacrifice de ces vingt-trois français de préférence : la France « est » une lente construction politique que l’histoire sédimente jusqu’à nous.

Elle « est » cette histoire commune vécue et ressentie comme telle. Elle « est » cette amitié des vivants avec les morts, avec leurs œuvres et avec les générations futures, elle « est » cette culture que nous recevons et que nous devons transmettre à notre tour, elle « est » cette terre des hommes libres.

Que ceux qui pourraient en douter s’interrogent simplement : morts pour quoi, les étudiants qui le 11 novembre 1940 ont manifesté place de l’Étoile, dans un Paris occupé et vaincu ? Morts pour quoi, le Capitaine Honoré d’Estienne d’Orves, compagnon de la Libération, résistant de la première heure et premier officier français fusillé par les Allemands ? Mort pour quoi, Jean Moulin, ancien préfet, président du Conseil national de la Résistance, exterminé par la torture nazi sans avoir jamais parlé ? Morts pour quoi, les millions de soldats, de résistants ? Mort pour quoi, Manouchian, ce soldat de l’armée des ombres ?   

« Morts pour la France ! », devons-nous crier en cœur afin que demain, aux côtés de nos grands hommes, la grande nef du Panthéon résonne de ces mots : « Entre ici, Missak Manouchian » !

Nicolas DARAGON